«J’aimerais ça avoir un talent qui sert à quelque chose.»
Une phrase que je me suis souvent répétée dans ma vie. Au moment où j’écris ces lignes, à 26 ans, je travaille comme responsable des communications au Réseau plein air Québec. Et cela ne relève pas du tout du hasard: j’ai eu la chance de grandir avec un père fervent de plein air.
Certains enfants allaient au cours de piano, au cours de ballet, à la pratique de soccer ou encore au karaté. Moi, j’allais à Trois-Saumons et à Minogami, apprendre la voile et le canot, dans des groupes de filles dirigés par des femmes. Pendant de nombreuses années, j’ai passé mes étés sur l’eau, à apprendre à naviguer, à lire le vent, à lire le courant.
Puis, entre 14 et 20 ans, j’ai réalisé ma spécialisation en canot, en enchaînant les expéditions, les cours techniques, les emplois d’été comme guide sur des rivière, et une formation pour devenir enseignante de canotage.
Le tout pour me retrouver, au début de la vingtaine, assise devant de multiples onglets de pages d’admission universitaires avec le constat suivant: mes expériences professionnelles, mon talent et ma passion ne m’avaient servi à rien. Ces longues heures passées à pagayer ne m’avaient pas fait avancer sur les flots de la vie adulte.
Aujourd’hui, je réalise que j’avais tort: toutes ces expériences en plein air m’ont permis de développer des aptitudes sur les plans professionnel, personnel et social qui me sont précieuses aujourd’hui et font partie intégrante de ce que je suis, et surtout de ce que j’apprécie chez moi. J’en tire d’ailleurs trois constats que je partage aujourd’hui.
Constat n° 1: les communautés de pratique féminines m’ont permis d’élargir mes compétences et mon autonomie
Une expédition de canot-camping, qu’elle soit d’une fin de semaine ou d’un mois, c’est avant tout une expérience de vie en groupe, marquée par des soubresauts météorologiques et des difficultés de parcours, surmontés ensemble. Il faut traîner des canots sur ses épaules, de lourds sacs à dos, scier des branches, creuser des latrines, cuisiner, faire la vaisselle, prévoir l’horaire de la journée, s’orienter sur l’eau, monter le campement, s’assurer que tout le monde va bien…
Par la manière dont nous sommes socialisé·e·s, certains éléments de cette liste ont le potentiel d’être davantage pris en charge par des garçons et d’autres, plus par des filles. Les groupes composés entièrement de filles ou de garçons viennent briser cette dynamique. Ça pousse tout le monde à sortir de sa zone de confort et à élargir ses compétences, en créant une dynamique plus équilibrée.
La séparation des groupes d’enfants et d’adolesent·e·s en fonction de leur genre a des avantages et des inconvénients. J’y ai, pour ma part, tiré de nombreux avantages. Mes expéditions de canot-camping entre filles m’ont donné l’occasion d’augmenter mon indépendance et d’améliorer ma confiance, autant en mes capacités physiques que mentales. Non seulement je me voyais grandie par cette dynamique, mais je me voyais aussi protégée.
Constat n° 2: les communautés de pratique mixtes m’ont permis d’avoir confiance en moi et en mes compétences
À l’aube de la vingtaine, je suis devenue guide, puis enseignante de canotage dans des groupes mixtes. Bien que j’y ai côtoyé des hommes bienveillants et intéressants, il arrivait souvent qu’un collègue ou client insiste pour transporter de l’équipement à ma place, qu’on laisse sous-entendre que mon rôle était d’assurer la présence féminine dans le groupe, ou encore qu’on me demande d’engager un homme dans l’équipe pour assumer le travail plus physique.
Je sentais alors qu’on me considérait comme plus faible et moins compétente que mes comparses masculins, alors que rien sauf mon genre ne me distinguait d’eux. Je sentais constamment que je devais prouver mes capacités, ce qui entachait mon expérience. Mais, au fil du temps, j’ai appris à me détacher des opinions des autres à avoir confiance en mes compétences, et ce, peu importe avec qui je travaillais et pagayais. Mon stress de performance a diminué, et j’ai pu mettre mes énergies à la bonne place: avoir du plaisir dans ce que je faisais.
«Toutes ces expériences en plein air m’ont permis de développer des aptitudes sur les plans professionnel, personnel et social qui me sont précieuses aujourd’hui et font partie intégrante de ce que je suis, et surtout de ce que j’apprécie chez moi.»
- Geneviève Désilets, responsable des communications du Réseau plein air Québec
Constat n° 3: le plein air m’a permis d’affirmer mon leadership
Bien entendu, ce n’est pas seulement la pratique du plein air en tant que femme qui m’a permis de devenir une meilleure version de moi-même, mais bien la pratique du plein air, tout simplement.
La randonnée, la voile et le canot sont les piliers de ma résilience et de mon autonomie d’aujourd’hui. Mes expériences de guide et d’enseignante m’ont permis de développer la gestion de groupe, l’analyse du ressenti et des compétences, le leadership, la planification des sorties et des leçons, la capacité à donner du feed-back, à repenser ce que je sais pour mieux l’expliquer, la vulgarisation, l’animation… Des compétences d’une grande valeur dans le monde du travail, qui font écho dans le monde des communications. Je jouis d’une meilleure initiative. Les défis m’effraient moins. Je n’ai pas peur de prendre les devants. Je sais m’exprimer mieux et plus clairement.
Je me sens aujourd’hui privilégiée d’évoluer dans un emploi «traditionnel» où ma passion et ma connaissance du plein air me servent au quotidien. Avec la rédaction de ce texte, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à mon parcours en plein air. Le recul m’a fait réaliser que j’avais tort: tout ce temps, j’avais un talent qui m’a servi à quelque chose!