On croyait à une vague de popularité; voilà qu’on assiste à une déferlante. L’arrivée massive des femmes sur tous les terrains du plein air est bel et bien ancrée dans la pratique, et pas seulement dans la randonnée pédestre ou le ski de fond. Désormais, les femmes investissent des bastions traditionnellement « réservés » aux hommes, comme le vélo de montagne, l’escalade ou le ski de poudreuse. Pour de nombreuses débutantes, qui s’initient à ces activités, intégrer une communauté de pratique 100 % féminine est une option séduisante. Comment expliquer ce phénomène grandissant ?
Question de confiance
« Durant nos entraînements d’ultra-trail, nous sommes généralement deux femmes pour 40 hommes, dit Vanessa Thauvette, qui se prépare à participer cet été au Québec Mega Trail, au Mont-Sainte-Anne, l’une des plus prestigieuses courses de l’ultra-trail du Canada (course de 110 km). Je suis toujours la dernière, quel que soit le groupe avec lequel je m’entraîne, mais je progresse chaque jour. » Un constat qui ne freine aucunement l’enthousiasme de cette athlète de la course de longue distance, qui travaille fort pour faire la promotion de son sport auprès des femmes « qui ne se sentent pas à la hauteur. »
Se rassembler pour gagner en confiance sans se sentir jugées, c’est l’objectif qui sous-tend la prolifération des clubs féminins, surtout quand vient le temps de s’initier à une nouvelle activité. « Beaucoup de jeunes femmes, notamment, disent gagner en confiance en s’entraînant avec d’autres femmes, parce qu’elles peuvent baisser la garde et avouer leur crainte, explique Marie-Christine Daignault, fondatrice de Filles de Bois et membre du conseil d’administration du club de vélo de montagne féminin Les Tordues.
« Et le résultat est prometteur : il y a cinq ans, on comptait 2 ou 3 filles pour 20 gars dans les sports de montagne; maintenant, on a la parité. » Certes, le niveau de pratique n’est pas le même entre hommes et femmes, surtout dans des sports qui exigent une bonne dose de performance et de témérité : « S’entraîner avec des hommes peut devenir essoufflant, car, qu’on le veuille ou non, ils sont généralement plus rapides et plus forts, explique Marie-Christine Daignault. En compagnie d’autres femmes, on s’améliore à son rythme, en limitant les risques de blessure. » La preuve que les communautés féminines répondent à un besoin criant ? Dès l’ouverture des inscriptions du club Les Tordues, les 60 abonnements se sont arrachés en 15 minutes, au point que le système informatique a même fini par boguer !
Moins de compétition, plus d’interaction
Valoriser les femmes dans les sports de rivière (canot, kayak, SUP, luge d’eau, etc.) et en finir avec sa réputation de sports extrêmes, c’est sur quoi planche la communauté Pink Water depuis 2014, notamment avec l’organisation d’évènements 100 % pour femmes : ateliers d’initiation ou de perfectionnement en eau vive, suivis de séances de yoga, de massage et d’autres activités de bien-être, le tout dans une ambiance franchement conviviale.
« Depuis la pandémie, nous nous sommes repositionnées pour amener le défi encore plus loin avec deux expéditions prévues cet été sur la Moisie et sur la Magpie avec un pourvoyeur en tourisme d’aventure local et 12 participantes, dont la majorité possède déjà des compétences techniques, dit Shéril Gravel, cofondatrice et présidente de Pink Water. L’idée est de donner une place aux femmes en misant sur la solidarité et la coopération. » Coopération : une autre des forces associées généralement à la dynamique féminine. « Les femmes utilisent moins la puissance brute que les hommes et privilégient la technique, l’analyse et la concertation, explique Shéril Gravel. Entre filles, la synergie est collaborative, même si la présence d’hommes peut être complémentaire quand vient le temps de se lancer ! » Pour cette pro de l’eau vive, une expédition de 6 jours en rivière sauvage entre femmes est surtout l’occasion de « voir émerger ce partage de communication, de synergie et de concertation. »
S’épanouir hors du cadre
Offrir une place aux femmes pour se dépasser hors du schéma classique du couple, de la famille et du travail, c’est la vision que défend l’un des clubs pionniers du genre, Les Chèvres de montagne, qui se distingue des autres par son offre multidisciplinaire : sports aquatiques, vélo de montagne, longue randonnée ou, encore, escalade et survie en forêt.
« Nous créons un moment magique avec un climat d’apprentissage propice, loin de la performance et de la compétition, dit Pascale Vézina Rioux, l’une des deux directrices (avec Émilie Richard) des Chèvres de montagne. Car le plaisir d’être ensemble fait partie de notre mission. » Les séances de pratique sont, bien souvent, suivies d’un apéro collectif.
Dans ce club, comme dans d’autres, la promotion est virale sur les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille fait le reste, surtout dans des régions, comme les Laurentides et les Cantons-de-l’Est, où la culture du plein air est enracinée dans les habitudes. Avec une majorité de débutantes, le club connaît logiquement un taux de rétention de 25 %, mais prévoit développer une offre pour les femmes qui désirent progresser dans leur discipline et, pourquoi pas, s’initier à d’autres. Sans pression et dans le plaisir.
« Le contexte de non-mixité offre des avantages incroyables pour le développement des femmes, explique Lorie Ouellet, professeure-chercheure en intervention plein air à l’Université du Québec à Chicoutimi. Ces groupes offrent un environnement qui permet aux femmes d’occuper des rôles actifs, d’apprendre sans paternalisme, de développer à leur rythme leur confiance en elles et leurs habiletés. Elles peuvent ainsi reconnaître leur force et leur autonomie physiques. Ces communautés qui sont basées sur le plaisir plutôt que sur la performance stimulent également le sentiment d’appartenance.
À terme, ces groupes vont jouer un rôle important pour faire augmenter le nombre de femmes dans le milieu du plein air. Ces femmes vont ensuite se joindre à des groupes mixtes, et, petit à petit, elles vont montrer qu’elles ont toutes les capacités nécessaires. Ces groupes font partie des solutions. »
Pour lire notre entrevue complète avec Lorie Ouellet, cliquez ici.