Descendre une rivière en totale autonomie, les barils emplis de provisions et d’équipement, s’éloigner de la civilisation: le canot-camping séduit nombre de Québécois et de Québécoises. Mais au-delà du plaisir de défier les rapides d’un fougueux torrent, de la volupté de camper d’îles en îles sur un vaste lac, du plongeon fugace au cœur de la nature, il y a des valeurs et compétences que les femmes peuvent acquérir grâce à cette activité de plein air.
Le canot-camping couvre de façon assez exhaustive les problématiques courantes rencontrées par les femmes dans le milieu du plein air. Parallèlement, il apporte un bel éventail de solutions, souvent couronnées d’un plaisir immédiat et d’une valorisation à la fois intime et collective. Elle promet aussi une évolution positive de la présence féminine dans le plein air, visible au long cours.
Les valeurs associées au canot-camping
Le canot-camping se pratique le plus couramment en duo sur l’embarcation, au sein d’un groupe et sur plusieurs jours, voire semaines. Ces vecteurs créent un terreau merveilleusement nourrissant.
Cette activité éveille des compétences qui peuvent servir dans la pratique comme à l’extérieur: le sentiment de travail d'équipe doit être fort, il faut savoir collaborer et s’entendre sur une ligne à prendre sur la rivière. La communication, l’écoute et la solidarité sont des outils à développer. Le canot-camping est donc un environnement privilégié pour vivre ce genre de relations humaines gratifiantes et développer des compétences qui serviront aux femmes dans d’autres domaines de leurs vies.
«Le canot-camping durant mon adolescence m'a vraiment formée comme personne», confie Geneviève Désilets qui s’est initiée lors de nombreux camps depuis son enfance et reste une pratiquante assidue et indépendante, aujourd’hui chargée des communications au Réseau Plein Air Québec. Peu de choses lui semblent désormais insurmontables, son altruisme s’est développé ainsi que sa capacité à trouver des alternatives.
«Le canot-camping durant mon adolescence m'a vraiment formée comme personne.»
Geneviève Désilets, chargée des communications au Réseau plein air Québec
Des freins à la pratique du canot-camping
Malgré tout, au cours de leurs études et dans l’exercice de leurs métiers de guide ou d’enseignante en plein air, de nombreuses femmes ont constaté une difficulté encore bien présente à s’épanouir et à progresser dans ce milieu traditionnellement masculin.
L’impression d’être un poids pour le groupe, de devoir faire ses preuves, que leur aide est secondaire, que leur prétendue faiblesse est un handicap, qu’un échec est plus pénalisant, revient très fréquemment dans les confidences que les femmes se font à propos de leurs expériences mixtes en canot-camping.
«Un groupe mixte va laisser les hommes faire ce qui est plus physique, comme le portage et transporter les barils… puisque les hommes le font, les femmes ne s’y essaient pas, donc ne gagnent ni en confiance, ni en technique et ainsi vont continuer de laisser les hommes s’en occuper. C’est un cercle» explique Chahaya Saleha, guide d’aventure et agente de projet La Route Bleue pour Canot Kayak Québec. Elle ajoute, par exemple, savoir bûcher du bois, mais pas aussi bien que son collègue masculin à qui l’on a enseigné mille techniques à force d’y être confronté tout le temps.
Ce cercle dont parle Chahaya est l’entrave majeure à laquelle se heurtent les femmes en situation mixte. La barrière qui les empêche de se lancer avec aplomb. «Dans notre société, on assume de façon très stéréotypée qu’il incombe aux hommes de virer le canot sur le toit de l’auto, car ce geste est normé comme étant trop exigeant pour une femme» renchérit Jessica Zajko. Il revient naturellement aux hommes de lire les cartes et décider d’une ligne à prendre sur la rivière tandis que les femmes devront justifier d’oser prendre le leadership.
Une pratique exclusivement féminine pour stimuler l’apprentissage
Dans un espace qui leur est réservé, les femmes s’accordent une chance d'essayer de portager seule, du temps pour apprendre à lire une rivière, la légitimité de rêver à des grandes expéditions; elles prennnent le risque d’échouer puis recommencer sans pression ni jugement. Au cours d’une expédition, Jessica Zajko se donne pour mission d’outiller les participantes au fur et à mesure pour qu'elles soient capables non pas d’exécuter mais de comprendre ce qu'elles font, reconnaître les dangers et décider par elles-mêmes. Responsabilité qui leur est rarement donnée dans un contexte mixte. «Ce sentiment d'accomplissement et cette capacité de relever un défi aident à ancrer des apprentissages concrets» affirme Jessica. Entre elles, les femmes se sentent légitimes d’adopter un comportement actif, de se lancer des défis et particulièrement de prendre des décisions.
Entraide et encouragement
L’autre bénéfice majeur qu’il y a à pratiquer le canot-camping entre femmes se révèle dans l’atmosphère d’entraide et d’encouragement qu’elles créent. Même quand une manœuvre n’a pas été géniale, les filles se motivent, se soutiennent et se félicitent. Le plaisir et l’envie de s’amuser l’emportent aisément sur l’instinct de compétition et le désir de performance.
Korinne Leblanc, enseignante en technique du tourisme d'aventure et en éducation physique au Cégep de la Gaspésie et des Îles, a créé la communauté Plein air au féminin (P.A.F.) en 2016 pour épauler ses étudiantes. Très minoritaires, ces jeunes femmes abandonnaient souvent leur cursus par isolement, découragement et le sentiment de ne pas y trouver leur place. Grâce au P.A.F., Korinne Leblanc les rassemble et leur offre une tribune où s’exprimer librement. S'empêcher d'être soi-même, cacher ses vulnérabilités, recevoir des conseils non-sollicités ou des commentaires paternalistes voire infantilisants sont autant d’enjeux communs qui ressortent lors des conversations.
Partager leurs difficultés leur permet non seulement de trouver des solutions, de s’outiller, mais aussi de tisser des liens de solidarité et de complicité, de consolider un réseau de pratique aux préoccupations mutuelles. L’enseignante, aujourd’hui supportée par sa direction, initie les membres du P.A.F. à des approches différentes de celles couramment enseignées par les hommes, par exemple des techniques non basées sur la puissance. Techniques tout autant efficaces qui sont désormais appliquées dans les cours par les collègues masculins; prouvant que la force, atout valorisé dans nombre d’activités, peut être détrônée par la précision d’un coût de pagaie finement exécuté ou une posture bien équilibrée lors d’un portage.
Le canot-camping comme vecteur d’épanouissement
Désir de Découvrir, entreprise fondée par deux jeunes femmes, propose une vision très noble: le canot-camping comme vecteur d’épanouissement pour les femmes et de connexion à la nature tel «un outil pour découvrir son potentiel, le ramener avec soi et s'épanouir dans la vie au-delà de l’expédition» explique l’une des fondatrices Jessica Zajko.
Grâce à leur succès et à la popularité grandissante du P.A.F., grâce aux initiatives communes de femmes entrepreneures, étudiantes, guides, participantes, la représentativité des femmes est en pleine croissance. Pas à pas, les stéréotypes se défont.
Plus il y aura de modèles, plus les jeunes filles et les femmes en général pourront se projeter et s’identifier. Toutes s’accordent pour célébrer le travail de Lorie Ouellet, professeure-chercheure en intervention plein air à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) qui a fait d’une expédition en canot-camping mixte avec ses étudiants, un laboratoire d’études sur les rapports de genre en plein air. Sa littérature apporte une crédibilité aux observations isolées des autres professionnelles et motivent leur démarche, souligne Korinne Leblanc du P.A.F. Une de ses fiertés est d’ailleurs l’implantation d’une capsule dédiée à la gestion des menstruations en expédition qui fait désormais partie intégrante d’un cours.
Les communautés de femmes en plein air participent positivement aux solutions, notamment pour sensibiliser la gente masculine, alliée cruciale de l’évolution des mentalités et pour influencer l’industrie du plein air.
On salue notamment les progrès dans l’équipement de canot-camping tel que les vestes de flottaison pensées pour les femmes, les sacs de couchage et matelas de sol adaptés aux morphologies féminines. On ne se contente plus d’ajouter une touche de mauve pour féminiser une VFI! L’industrie apporte des solutions techniques aux enjeux que rencontrent les femmes comme l’ajout d’un zip à l’arrière des combinaisons isothermiques (ou drysuit) pour uriner sans se déshabiller… une révélation pour celles qui se retenaient afin de ne pas nuire au groupe, confie Korinne Leblanc avec un grand sourire.
La pratique du canot-camping entre femmes permet à ces dernières de prendre en charge leur activité avec indépendance et assurance. C’est la voie vers une pratique mixte plus égalitaire, plus inclusive et où plaisir et performance trouveraient un bel équilibre.