Inclusion et diversité: discussion humoristique autour d’un sujet sérieux
Aborder un sujet sérieux, avec un ton résolument humoristique, c'est gagnant. C’est ce que nous avons constaté lors de la deuxième édition de L’Élan, le grand rassemblement de La Lancée, où un panel d’expert·es s’est penché sur la question de la diversité et de l’inclusion.
La discussion rassemblait Emna Achour, humoriste et ancienne journaliste sportive, Lou St-Pierre, Ph. D., chercheur au Lab PROFEMS et Florence-Agathe Dubé-Moreau, autrice, chroniqueuse et commissaire indépendante en art contemporain.
Puisque ce segment a été le coup de cœur de plusieurs participant·es (si ce n’est la totalité!), nous rendons la captation vidéo disponible gratuitement.
On y parle de l’avancement des filles et des femmes avec humour (et sérieux!).
Vous avez manqué L’Élan mais avez envie d'en connaître les détails (ou de fouiner dans les photos!)? Consultez notre page de résumé de l’événement!
Inclusion et diversité: questions du public et réponses d’expert·es pour aller plus loin
Cette discussion a généré de nombreuses questions du public, dont les suivantes, auxquelles Lou St-Pierre et Florence-Agathe Dubé-Moreau ont pris le temps de répondre.
Que recommandez-vous concernant le marquage des appellations de ligues (ex. Ligue de basketball versus ligne de basketball féminin)? Utiliser les genres masculin et féminin, ou ne pas utiliser de marqueurs de genre?
Lou St-Pierre: Personnellement, je préfère qu’on nomme masculin et féminin. Ce faisant, on évite de faire du masculin le « neutre ». Celui qu’on n’a pas besoin de nommer.
Comment instaurer et mettre en place le sport féminin dans un sport majoritairement masculin?
Lou St-Pierre: Ce n’est pas évident, parce qu’à un problème complexe, il n’y a pas de solution simple. Une fois la chose dite, le plan de match repose sur des actions sur plusieurs fronts et ce que j’offre ici n’est absolument pas exhaustif. Mais, voici des pistes d’actions:
- Travailler les biais inconscients à l’interne (par la formation continue et l’éducation) et à l’externe (affichage diversifié dans un langage inclusif qui montre que les filles ont leur place).
- S’assurer que la programmation soit ouverte aux filles, soit par le biais d’une offre pour les filles ou dans un contexte mixte inclusif (c’est-à-dire réfléchi, où l’on s’assure que l’encadrement permettra aux filles de s’épanouir).
- Penser les programmes et les politiques en mettant nos «lunettes du genre», soit procéder à une analyse différenciée selon le sexe+ (ADS+) avant de mettre en place des programmes et politiques.
- Regarder ce qui se fait ailleurs! Y a-t-il des initiatives qui sont prises dans d’autres disciplines traditionnellement masculines pour amener les filles? Allons voir ce qui fonctionne et regardons comment on peut l’ajuster pour notre sport.
Florence-Agathe Dubé-Moreau: La visibilité est la clé dans un engagement à améliorer la place des femmes dans le sport. La visibilité, c’est le pouvoir de la représentation: le fait de se reconnaitre dans un domaine, d’y voir des personnes «comme soi», et donc, de pouvoir s’y projeter. Pour les filles et les femmes, cela veut dire de «pouvoir voir» des athlètes féminines dans les médias, mais aussi de voir des femmes qui sont arbitres, entraîneures, dirigeantes, journalistes. En offrant des modèles inspirants, on pave le futur du sport pour elles et pour tous·tes.
Pour que cela arrive, il faut que l’accessibilité aux images mettant de l’avant des sportives et des professionnelles du sport s’améliore, notamment par:
- la diffusion des matchs sur des canaux populaires et faciles d’accès;
- les créneaux horaires stratégiques;
- la caméra de qualité durant les matchs;
- les analyses pointues et la promotion des matchs.
Rappelons-nous que l’image est encore à la base de l’économie sportive: partenaires de diffusion, partenaires commerciaux, «fan base». Si les femmes n’ont pas accès à « l’image sportive », l’équité est impossible à atteindre.
Que proposez-vous pour les sports principalement féminins, comme la gymnastique ou le patinage artistique, où le masculin est minoritaire?
Lou St-Pierre: En plus de ce qui a déjà été proposé comme pistes de solutions précédemment, j’ajouterais dans ce contexte spécifique trois choses de plus :
- Combattre l’homophobie et les discours homophobes.
- En parler avec les filles et les femmes. Les rassurer en indiquant qu’elles ne vont pas perdre leur place parce qu’il y a des garçons.
- Parler des contacts physiques (dans les faits, il faudrait en parler dans tous les contextes, y compris en non-mixité!). Par exemple, quand il y a des portés et certains mouvements, il peut y avoir des contacts qui rendent les participant·es inconfortables. D’où l’importance de parler du respect du consentement, d’établir ses limites, etc. Et je me répète, c’est une discussion qui aurait lieu d’être dans TOUS les milieux!
Florence-Agathe Dubé-Moreau: J’ajouterais que, comme dans tous les milieux, l’homogénéité d’un groupe peut apporter des dérives. Dans un contexte à tradition ou à majorité féminine ou masculine, il me semble tout aussi pertinent de se poser la question à savoir si l’homogénéité de notre groupe génère des exclusions, conscientes ou inconscientes, et à voir comment on peut aménager un espace plus inclusif et respectueux de tous et toutes.
Outre qu’en parler, de quelles façons concrètes peut-on défaire ces biais? Comment les faire reconnaitre dans nos milieux?
Lou St-Pierre: Les nommer de manière frontale. Les mots en - ISME et en — PHOBIE font peur mais, si on ne les nomme pas, on ne peut pas agir. Il faut nommer le sexisme, le racisme, l’homophobie et la transphobie par leur nom pour commencer à apporter des changements. Ensuite, on passe par l’éducation (c’est cliché, mais...). Et ensuite, les alliés (hommes alliés dans le cas du sexisme) doivent être vocaux. Ce ne sont pas aux femmes de porter seules le fardeau de défaire les biais.
Dans le contexte actuel, devrait-on déconstruire les stéréotypes de genre en activité physique ou intégrer une variété d’activités physiques de tous genres?
Lou St-Pierre: LES DEUX!
Florence-Agathe Dubé-Moreau: Je pense qu’on doit encore avoir une discussion sur la socialisation des enfants en lien avec l’activité physique. L’exposition des jeunes filles au sport et le développement de leurs habiletés motrices et de leur sentiment de capacité sont encore très différenciés de celui des garçons. En parallèle, certains sports continuent de s’ériger sur une tradition à majorité féminine ou masculine (par exemple, le ballet ou le football). Cette exposition différenciée au sport se répercute parfois jusqu’à la vie adulte. Les stéréotypes de genre et l’exposition aux sports sont interconnectés; en agissant sur l’un, on peut agir sur l’autre.
Il y a différentes pistes ici:
- miser sur la sensibilisation et l’éducation auprès des familles et des milieux préscolaires et scolaires;
- exposer les enfants à une variété d’activités physiques dès un jeune âge pour développer leurs habiletés, mais aussi pour agir sur des stéréotypes de genres dans le sport qu’elles et ils pourraient intégrer en grandissant (par exemple, penser que les filles sont plus faibles);
- favoriser la mixité des équipes avant la puberté pour que les garçons et les filles jouent ensemble et apprennent les un·es des autres.
Ces pistes peuvent avoir comme avantages de mitiger le sentiment «d’incapacité» en découvrant que ce n’est pas dans tous les sports qu’on est moins performant·e, par exemple. Ou encore de découvrir que tous les garçons ne sont pas meilleurs que toutes les filles; mais bien que certains garçons sont meilleurs que certaines filles, et vice-versa.
Comment changer le regard que la société a sur l’uniforme sportif des femmes? Changer l’angle de l’image des athlètes femmes qu’on diffuse dans les médias?
Lou St-Pierre: Il y a eu beaucoup de chemin parcouru quant aux représentations des femmes dans les médias sportifs. Comme le souligne la chercheure Toni Bruce, il y a eu une baisse importante de l’utilisation de l’athlète féminine «sexy» dans les médias. C’est du positif! Il faut rester vigilant·es, mais on voit que de ce côté, ça s’améliore. Quant à l’uniforme plus généralement, on a vu dans les dernières années des équipes féminines et des groupes d’athlètes féminines prendre la parole pour exiger des changements, pour exiger d’avoir le choix. Il importe de les écouter.
Comment agir face à des phénomènes comme les «golf babes» (influenceuses golf) et autres mouvements mettant de l’avant des femmes habillées de façon suggestive dont la popularité (et les revenus...) surpasse parfois ceux des athlètes vêtues de façon plus traditionnelle?
Lou St-Pierre: Je ne veux pas verser dans le «slut shaming» et pointer du doigt ces golfeuses. Ce que j’espère, c’est que les golfeuses professionnelles puissent gagner leur vie aussi bien (avec des bourses égales) que leurs collègues masculins, en pouvant choisir ce qu’elles veulent porter sans que cela affecte leur santé financière et leur crédibilité. Elles ne devraient jamais confrontées au choix de gagner un bon salaire en jouant la carte du sexy ou de gagner moins en adoptant un style plus «consensuel».
Quelle serait votre réponse à ceux et celles qui disent que la visibilité des sports féminins dépend des revenus qu’ils rapportent contrairement au sport masculin?
Lou St-Pierre: Je dirais d’une part que le sport masculin n’est visiblement pas toujours une si grande source de revenus, vu les pertes financières importantes de plusieurs médias sportifs. D’autre part, il a fallu du temps pour construire ce qu’on appelle le complexe médiatico-sportif et faire du sport-spectacle masculin une source de revenus féconde. Exiger que le sport féminin devienne en un claquement de doigts l’équivalent économique du sport masculin professionnel qui a pris un siècle à se bâtir, alors qu’on commence à peine à voir le sport féminin professionnel se développer, c’est faire preuve de mauvaise foi et aussi, d’un aveuglement historique. Et bon, le fait est que nous avons de plus en plus d’exemples où le sport féminin, lorsque présenté suivant une diffusion équivalente au sport masculin, s’en sort très bien! Et même, bat des records!
Florence-Agathe Dubé-Moreau: Il faut se rappeler qu’historiquement, des ligues comme la NFL ont pris plusieurs décennies avant de dominer le marché sportif. Même au Québec, nous avons des clubs sportifs masculins qui connaissent encore des années difficiles.
Si nous vivons actuellement un moment historique où nous remplissons des stades jamais rêvés pour le sport féminin et que nous brisons des records de cotes d’écoute sur les grandes chaînes, je me demande souvent sur quels chiffres et données les détracteurs du sport féminin se basaient pour affirmer — hors de tout doute — qu’il n’y avait rien à faire pour le sport féminin alors que les femmes n’avaient jamais eu accès à de tels stades et à de telles couvertures télévisuelles...
Ensuite, c’est effectivement une roue: si on ne montre pas le sport féminin, il ne pourra jamais aspirer au même engouement populaire et aux mêmes revenus. Cela dit, briser ce cycle peut être une décision consciente. Une décision collective pour donner les mêmes chances aux femmes qu’aux hommes de briller.
Comme spectatrice et spectateur, nous avons le pouvoir de changer nos habitudes de consommation sportive; de faire preuve de curiosité; d’observer notre vocabulaire et nos biais inconscients quand on parle de sport. Nous avons une responsabilité collective d’exiger plus des clubs, des ligues et des diffuseurs que nous aimons.