Femmes et plein air: Entrevue avec Annick St-Denis, première DG du Réseau Plein Air Québec

Depuis une vingtaine d’années, des organisations comme Égale Action œuvrent à augmenter et consolider la représentation des femmes dans l’univers du sport, un univers qui demeure encore bien masculin. Mais qu’en est-il dans celui du plein air, plus axé sur le lien actif à la nature que vers la compétition? Entrevue avec Annick St-Denis, directrice générale du Réseau Plein Air Québec, le tout récent organisme qui rassemble, dans une même communauté d’esprit, le travail de 11 fédérations de plein air.

Qu’est-ce qui a motivé la création du Réseau Plein Air Québec (RPAQ)?

La création d’un organisme rassembleur était en ébullition depuis 2017. À ce moment-là, on sentait le besoin de regrouper des fédérations qui travaillaient en vase clos depuis longtemps. Quand je dirigeais Vélo Québec Association (VQA)1, j’avais de nombreux échanges avec les fédérations et je sentais émerger une volonté de travailler sur des projets communs. De plus, on savait que le ministère de l’Éducation portait une oreille attentive à ce désir d’unir les forces de façon plus formelle, un peu à la manière de Sports Québec et du Conseil québécois du loisir.

Le programme national d’encadrement des activités de plein air (PNEPA), en projet pour 2023, et le financement qui l’accompagne, illustrent bien la volonté du ministère de miser sur ce secteur pour encourager les saines habitudes de vie, notamment chez les jeunes. Les fédérations de plein air, qui soutenaient déjà ce programme, y ont vu l’occasion de se mobiliser pour demander à ce que soit créé un organisme officiel qui défend leurs actions communes et qui soit soutenu par le ministère de l’Éducation. Je partageais cette vision; après mon départ de VQA en 2020, j’ai pris la direction générale du RPAQ dès le mois de mars de cette année.

1 VQA est une entité de Vélo Québec, l’organisme national de loisir dont l’objectif est de promouvoir l’utilisation récréative du vélo au Québec. 

« Les femmes sont très nombreuses à pratiquer des activités traditionnelles, comme la randonnée pédestre ou le ski de fond, mais elles restent minoritaires dans certains secteurs qui exigent une bonne confiance en soi, comme l’escalade ou le kayak d’eau vive, même si cela tend à changer. »

— Annick St-Denis

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Crédit photo: Fillactive | Vanessa Cyr Photographie

Quelles sont les premières actions à avoir été posées par le RPAQ?

Nous avons mis en place la plateforme On y va, un outil qui regroupe l’offre de plein air proposée dans toutes les régions du Québec, à l’attention du grand public. L’idée est de faciliter la vie des néophytes en leur montrant qu’il n’y a pas que du vélo en Montérégie, par exemple, et qu’en allant pratiquer une activité dans une région du Québec, on peut découvrir tout plein d’autres choses à y faire. Ce sont bien souvent les femmes qui planifient et organisent les sorties, les hommes étant plus enclins à «partir à l’aventure»; ce portail est donc particulièrement utile aux femmes.

Le RPAQ2 vient aussi de déposer un Plan d’action pour 2022 pour avancer dans son objectif de travailler de façon collégiale et transversale, ce qui représente un changement bénéfique dans la culture du travail des fédérations. Toutes font, bien souvent, face à des enjeux identiques et regrouper leurs forces est la meilleure façon de trouver des solutions concrètes. Par exemple, faire réaliser des photos pour illustrer la diversité culturelle des pratiquants ou, encore, négocier des assurances dont l’ensemble des fédérations peuvent profiter. 

2 Le RPAQ regroupe les 11 fédérations de plein air du Québec soit : Canot Kayak Québec, Cheval Québec, Eau Vive Québec, la Fédération Québécoise de Kite, la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade, Québec Subaquatique, Rando Québec, Spéléo Québec, Ski de fond Québec, Vélo Québec et Voile Québec.

Quelle perception avez-vous de la représentation des femmes dans le monde du plein air?

C’est difficile à évaluer, parce que le taux de membership ne réflète pas bien le nombre de pratiquants. Plusieurs personnes peuvent pratiquer des activités de plein air sans pour autant être membre d’une fédération. Dans certaines disciplines, comme la randonnée, le ski de fond et la planche à pagaie, des chiffres montrent même que les femmes sont plus nombreuses à s’adonner à ces activités. 

C’est intéressant aussi de remarquer que, dans certains secteurs comme le vélo, les femmes démontrent un plus grand souci pour leur sécurité, en utilisant davantage les pistes cyclables. Une fois qu’elles se sentent à l’aise dans leurs déplacements de tous les jours, elles peuvent se lancer dans d’autres pratiques cyclistes, comme le cyclotourisme ou la cyclosportive. D’ailleurs, à voir l’émergence des clubs cyclistes féminins, de route ou de montagne, on voit bien que les femmes prennent de plus en plus leur place dans ce secteur.

Pour autant, le RPAQ s’est-il fixé pour mandat d’encourager la pratique féminine d’activités de plein air?

La question des femmes fait partie de mes réflexions, comme celle de toutes les autres communautés de pratique. Ceci étant dit, certaines fédérations s’associent à des organisations, comme Les Chèvres de Montagne, qui proposent des sorties et des formations pour initier les femmes à plusieurs activités, comme la longue randonnée, par exemple. Ces rassemblements exclusivement féminins répondent à un réel besoin. La preuve: il faut souvent s’y prendre tôt pour en faire partie, car le nombre de participantes est limité. La Fédération québécoise de kite, quant à elle, a créé un guide de formation, rédigé et photographié par des femmes, et présentant des femmes en action, manière de montrer que cette activité s’adresse aussi à elles. 

Je n’ai pas l’impression que le sexisme soit la norme en plein air, même si on peut observer parfois des comportements individuels un peu trop galants, du genre: «Donne-moi ton sac à dos, je vais le porter». Les gens de plein air sont, la plupart du temps, ouverts et peu portés vers la compétition et la performance. Au niveau de la direction des fédérations, par exemple, la représentativité des femmes est bonne: sept d’entre elles, sur onze, sont dirigées par des femmes et le CA du Réseau compte quatre femmes pour un homme. Intuitivement, je ne vois pas de problème sur la représentativité des femmes en plein air, contrairement au sport par exemple.

Les femmes sont très nombreuses à pratiquer des activités traditionnelles, comme la randonnée pédestre, la raquette ou le ski de fond, mais elles restent minoritaires dans certains secteurs qui exigent une bonne confiance en soi, comme l’escalade, le kayak d’eau vive ou le canot avec des sections de portage, ou, encore, le ski hors-piste, même si cela tend à changer. Quant aux hommes, ceux-ci poursuivent bien souvent leurs activités après l’adolescence; rester en contact entre eux et se retrouver entre chums pour pratiquer le canot-camping ou la pêche, par exemple, est plutôt naturel. À l’âge adulte, les femmes, elles, ont plus souvent tendance à prendre plus de temps pour s’occuper de leur famille (À lire sur le sujet : une entrevue avec Lorie Ouellet, professeure-chercheure à l’Université du Québec à Chicoutimi, qui a réalisé plusieurs recherches sur les femmes et le plein air). Pour celles qui veulent gagner en confiance sans se sentir jugées, il existe maintenant des ateliers 100% femmes qui leur permettent de se retrouver entre elles, notamment sous l’encadrement d’un professionnel et grâce à des formations techniques, ce qui peut leur être très bénéfique. Après cette initiation, celles-ci vont bien souvent poursuivre leurs activités. 

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Qu’en est-il au niveau des entrepreneurs en tourisme d’aventure ? Les femmes sont-elles bien présentes dans ce secteur socioprofessionnel ?

Elles sont de plus en plus nombreuses à choisir une carrière de guide d’aventure, souvent formées au niveau du cégep ou du bac en plein air. Des évènements rassembleurs et des formations spécifiques jouent aussi le rôle de bougie d’allumage pour inciter les femmes à prendre du leadership et avoir l’envie de partager leurs acquis avec des hommes. On sent présentement une bonne évolution dans ce sens. Plus les femmes seront nombreuses dans l’entrepreneuriat, plus ce sera la norme, et moins le public sera impressionné de se faire guider en plein air par une femme.

Prendre sa place

Enseignante en éducation physique, Joanie Beaumont réalise une maîtrise au sujet des femmes leaders en plein air au Québec, à l’UQAM. Avec Lorie Ouellet, c’est l’une des rares femmes dont les recherches universitaires se penchent sur cette question. « Les femmes qui prennent en charge un groupe — que nous appellerons leaders — sont moins nombreuses que les hommes au Québec, même s’il est difficile d’avoir des chiffres précis, car ce rôle renvoie à un domaine très vaste qui touche au tourisme, mais aussi à la santé et à l’éducation. En 2018, Emploi Québec identifie que 18 % des guides d’activités récréatives et sportives de plein air sont des femmes. Cette appellation englobe une partie des emplois pouvant être associés aux leaders du domaine du plein air. Mais on observe une belle émergence des femmes qui prennent le lead, notamment dans l’éducation en plein air (scolaire et CPE). Le Québec semble plus inclusif que d’autres régions du monde concernant la présence des femmes qui interviennent en plein air. La littérature actuelle suggère qu’en Europe, par exemple, il existe certaines disparités entre hommes et femmes responsables de groupes, notamment chez les guides de haute-montagne. Les conclusions de mes recherches pourront peut-être fournir certaines recommandations, en toute humilité, pour que cette représentation féminine puisse se développer encore mieux. Car si les femmes commencent à prendre leur place dans le milieu de l’aventure et de l’exploration, elles restent encore minoritaires comme leaders. »

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Photo de Joanie Beaumont

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