Égale Action: au service de l’équité et de l’égalité dans le sport depuis 20 ans
Guylaine Demers est professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval depuis 20 ans. Ses recherches et ses réalisations dans le domaine de la présence des femmes en sport lui ont valu une reconnaissance nationale et internationale. L’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et de l’activité physique l’a nommée parmi les femmes les plus influentes dans le sport canadien en 2007, 2010 et 2015, et elle a reçu en 2020 le trophée Femmes et sport du Comité international olympique. Elle a également coprésidé le Groupe de travail fédéral-provincial, territorial sur l’équité des genres dans le sport. En 2020, Guylaine Demers a été nommée codirectrice du Centre national de recherche sur l’équité entre les genres dans le sport (E-Alliance) du Canada. Entrevue avec une femme déterminée.
La question des femmes et du sport, tant du point de vue de la participation que du leadership, est à l’ordre du jour de plusieurs organisations, notamment Égale Action, fondée au Québec en 2001, dont vous êtes la présidente. Est-ce que la place des femmes a progressé depuis 20 ans ?
Il y a eu des gains indiscutables sur le plan de la participation des femmes. À 7 ans, je n’ai pas pu jouer au sein d’une équipe de hockey, mais aujourd’hui c’est possible, bien que l’accessibilité des filles à ce sport varie encore beaucoup d’une région à l’autre.
En ce qui concerne les modèles féminins inspirants, la progression est également encourageante. La délégation olympique canadienne est complètement paritaire depuis des années et les femmes gagnent des médailles, ce qui fait qu’une petite fille peut rêver de participer aux Jeux olympiques.
Par contre, sur le plan du leadership, c’est-à-dire le nombre de femmes entraîneures, directrices techniques, directrices générales ou membres du conseil d’administration d’une fédération, ça stagne et il y a même eu un recul depuis quelques années.
Par exemple, en 2019 au Québec, 22 % des entraîneurs du sport organisé, tous niveaux confondus, étaient des femmes. Aux niveaux universitaire et collégial canadiens, les équipes féminines ne comptent que 26 % d’entraîneures en chef. Aux Jeux olympiques, les hommes détiennent une majorité écrasante des postes d’entraîneurs, malgré la parité au chapitre des athlètes. Par exemple, en 2018, à Pyeongchang, la délégation canadienne comptait seulement 8 femmes, contre 87 hommes !
Comment expliquer cette stagnation ?
Le sport reste le dernier bastion de l’hégémonie masculine. Les femmes ont pris leur place dans l’espace sportif, mais – et je ne suis la seule à faire cette analyse – cette avancée a provoqué un ressac. Ça ne s’est pas fait de façon explicite, mais on a vraiment senti une résistance dans les 20 dernières années. Comme si les hommes disaient « D’accord, vous avez fait votre place, mais nous allons continuer à diriger le sport ».
Il y a beaucoup de sexisme, beaucoup de favoritisme. Les entraîneures sont tenues à l’écart des réseaux informels où les informations circulent sur les postes disponibles, elles se retrouvent isolées. De plus, lorsqu’elles entrent dans le système, elles n’y restent pas longtemps, parce que le milieu est très toxique et que les horaires sont extrêmement exigeants.
Il faut changer le discours et cesser de dire que c’est un privilège qu’on donne aux femmes. Non ! Il s’agit juste d’arriver à une égalité, parce que ça fait 200 ans que les hommes sont privilégiés.
Quels sont les effets de cette discrimination ?
Le premier, c’est de priver les femmes d’une opportunité de développement professionnel. Pourquoi, en tant que femme, suis-je exclue d’un milieu qui me passionne ?
Le deuxième, c’est de priver les jeunes sportives de modèles de leadership et d’un entraînement optimal mené par une femme qui connaît bien leur réalité.
Le troisième, c’est que le système sportif se prive de 50 % des talents ! Or, ces femmes peuvent contribuer de façon majeure à l’amélioration du système sous toutes ses facettes en repensant les façons de travailler, les programmes, les structures et les politiques.
La bonne nouvelle, c’est que nous avons de plus en plus d’hommes parmi nos alliés. Ça commence à bouger parce que la vieille garde est en train de partir. Mes nouveaux collègues ont la trentaine, sont souvent de jeunes pères, sensibles aux enjeux de conciliation travail-famille, de discrimination, de diversité. Le système n’a plus le choix de bouger, sinon, les hommes et les femmes de la relève ne resteront pas.
Le soutien des hommes est donc essentiel dans la cause des femmes et du sport ?
Il est indispensable en effet, car les changements que la nouvelle génération d’hommes souhaite sont ceux que les femmes demandent depuis longtemps. Lorsqu’Égale Action a été fondée, il y a 20 ans, nous étions perçues comme un petit caillou agaçant dans le soulier. « Qu’est-ce qu’elles veulent les femmes ? En 2000, en 2001, il n’y en a pourtant plus de problème ! » Il y avait une grande incompréhension.
Aujourd’hui, nous avons des alliés inconditionnels qui font la promotion d’Égale Action. De plus en plus de fédérations nous demandent du soutien, car elles veulent changer les choses, mais ne savent pas toujours par où commencer. On sent que le changement est amorcé et je ne pense pas qu’on va revenir en arrière.
Nous sommes donc à un moment charnière de l’enjeu du leadership des femmes en sport ?
Tout à fait ! Il y a un mouvement très clair et, selon moi, on ne reviendra pas en arrière. Pour la première fois au Canada, nous avons un Centre national de recherche sur l’équité entre les genres dans le sport (E-Alliance), doté d’un budget de 1 650 000 $ sur 3 ans. J’en suis la co-directrice, avec deux collègues ontariennes, et notre équipe compte 8 autres chercheuses. Nous avons pour mission de colliger des données, de surveiller les progrès de l’équité entre les genres dans le milieu sportif et de soutenir des solutions créatives.
Un des premiers mandats du Centre de recherche est de réaliser des études longitudinales afin d’avoir des données réelles sur la place des femmes dans le sport, un point, qui, dans la majorité des pays, n’est pas adéquatement documenté. Ces données vont nous permettre de suivre de façon précise le leadership des femmes : combien sont entraîneures, directrices techniques, ou dans un poste de gestion ?
Nous allons aussi financer des recherches sur les groupes minoritaires dans le sport féminin, comme les femmes racisées et LGBTQ2S+, ainsi que les femmes en situation de handicap. De fait, la promotion des femmes dans le sport met en lumière les réalités vécues par d’autres groupes discriminés.
L’autre mandat très important du Centre de recherche est l’évaluation. Beaucoup d’initiatives sont mises en place, mais on ne sait jamais si ça fonctionne ou non, ni pour quelles raisons.
Au niveau international, est-ce que certains pays se distinguent au chapitre de la promotion des femmes dans le sport ?
Un gros coup de barre est en cours en Nouvelle-Zélande, qui, en 2018, s’est dotée d’une stratégie en matière de participation et de leadership des femmes en loisirs actifs et sport. En mai 2022, ce pays va accueillir la Conférence internationale Femmes et Sports, en mai 2022.
L’initiative la plus remarquable est celle de Champions of Change Sport en Australie. Ce groupe a été fondé en 2015 par Elizabeth Broderick, ex-commissaire à la discrimination sexuelle, et par des hommes présidents-directeurs généraux d’organisations sportives décidés à passer à l’action. Actuellement, ce sont 13 fédérations sportives, ainsi que 6 clubs sportifs influents qui se sont engagés à augmenter la place de femmes dans cinq domaines : le leadership, la participation, l’accessibilité au sport d’élite, le financement et l’équité salariale. Leurs progrès sont documentés et les données sont publiques. En 2020, le rapport Pathway to gender equality in sport including pay equality a présenté de façon détaillée le bilan de chaque fédération et club sportif membre du groupe. C’est tout un incitatif à progresser !
Selon moi, c’est le modèle à suivre et ça confirme que les hommes sont des alliés essentiels pour faire changer les choses. Pendant longtemps on a blâmé les femmes au sujet de ces faibles pourcentages en leadership. On disait qu’elles n’étaient pas compétentes, pas intéressées. Les hommes qui s’impliquent ont compris que c’est le système qui pose problème, pas les femmes.
Dans un monde idéal, où en serait-on dans 10 ans ?
Dans ce monde idéal, toutes les femmes qui le souhaitent poursuivraient une carrière satisfaisante dans le monde du sport, à la hauteur de leur passion. Toutes les équipes sportives auraient une entraîneure-chef et un entraîneur adjoint ou vice-versa. Ce serait un duo gagnant pour tout le monde, tant du point de vue des performances que du plaisir de jouer et du sentiment d’appartenance.
Ma vision est également sociétale. Actuellement, 1 % des athlètes masculins sont entraînés par des femmes. Si tous les garçons avaient aussi un coach féminin, le leadership deviendrait asexué pour eux. Le jour où ils auront une femme comme boss dans leur carrière, ils ne capoteront pas, parce que le leadership féminin fera partie de la normalité. L’effet sera le même dans une relation de couple. Le sport est un outil incroyable d’autonomisation des filles, car il leur permet de développer une bonne estime de soi et des qualités de leadership qui les suivront toute leur vie.
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