Fillactive: incubateur de plaisir et de leadership
Claudine Labelle a fondé Fillactive en 2007, avec une idée en tête : amener, par le plaisir, plus d’adolescentes à être physiquement actives. Seize ans plus tard, Fillactive est présente dans près de 200 écoles secondaires du Québec et a su faire de l’activité physique une « affaire de filles », grâce à des porte-parole inspirantes, des ambassadrices allumées et des responsables scolaires engagés. Au fil des années, Claudine Labelle s’est appuyée sur l’expertise et le financement des milieux privés et gouvernementaux pour étoffer sa mission. Présente dans toutes les régions du Québec grâce à un modèle collaboratif, Fillactive est devenu un joueur incontournable dans le paysage québécois. Entrevue avec une femme convaincue.
Quelle est l’essence de votre mission ?
Faire vivre des expériences positives aux adolescentes pour qu’elles soient actives toute leur vie. L’objectif est d’associer l’activité physique avec le plaisir et pour cela, elles ont besoin de se retrouver entre elles. Cette socialisation entre filles permet de lever plusieurs des obstacles qui les découragent de rester actives.
Comme le montre bien la vidéo humoristique que nous avons produite en 2020, bien des barrières nuisent à l’attractivité de l’activité physique. Les remarques désobligeantes des garçons durant les cours d’éducation physique, des vestiaires qui laissent à désirer, et la quasi-absence du sport féminin dans les médias en font partie. La non-mixité offre aux adolescentes un environnement stimulant, qui n’est pas axé sur la performance, mais plutôt sur la prise de confiance en soi par l’acquisition d’habiletés physiques et sur une socialisation constructive.
Pourquoi avoir choisi d’agir dans les écoles ?
Parce que c’est important de les rejoindre dans leur quotidien. L’école permet aussi de sensibiliser les enseignants à l’importance d’encourager les filles à persévérer dans la pratique de l’activité physique. Les responsables scolaires des activités de Fillactive reçoivent une formation pour être de bons accompagnateurs pour les adolescentes, pour qu’elles se sentent en confiance et bien dans leur corps. En 2019-2020, 142 responsables Fillactive ont participé à une activité de formation.
Nous les outillons également pour qu’ils identifient bien les barrières spécifiques à leur école et trouvent des façons d’y remédier. Ainsi, dans plusieurs écoles, les responsables scolaires utilisent très bien les étudiantes- leaders pour sonder les participantes et ainsi affiner leurs interventions. Ce sont des personnes engagées qui ont le bien-être des étudiantes à cœur.
L’idée est de mettre en place toutes les conditions gagnantes pour que l’activité physique devienne une évidence pour les filles, parce qu’elle est associée au plaisir, à des expériences positives et à un sentiment d’appartenance. Une fois ces aspects intégrés, elles seront plus confiantes quand elles choisiront de se joindre à un groupe mixte.
Comment avez-vous bâti et fait évoluer Fillactive ?
On ne peut pas être seule lorsqu’on vise un changement aussi important. À ce titre, la Fondation McConnell , avec son expertise en changement systémique et en innovation sociale, s’est révélée un point d’appui majeur.
Le déploiement de Québec en Forme a été une autre bougie d’allumage, car les Tables intersectorielles régionales en saines habitudes de vie (TIR-SHV), nous ont permis de rayonner dans toute la province. Nous collaborons activement avec COSMOSS*, ainsi qu’avec plusieurs Unités régionales de loisir et de sport (URLS) et avec les instances régionales du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ). Tous ces acteurs régionaux ont une connaissance fine des enjeux et des besoins de leurs milieux. Voir chaque région comme un écosystème en soi fait partie de notre philosophie.
Et comme j’ai un ADN d’entrepreneure, je me suis tournée vers le milieu des affaires. Je suis allée chercher le soutien de grandes corporations privées et de fondations. Elles nous épaulent financièrement et soutiennent l’organisation de nos événements festifs annuels. Leur expertise en matière de gouvernance nous est également très utile.
Je suis très fière de mobiliser le milieu des affaires autour d’une cause qui cible la santé globale et l’avenir des filles. Les leaders qui composent notre conseil d’administration veulent avoir un impact direct sur l’avenir des adolescentes afin qu’elles prennent, une fois adultes, leur place dans la société.
Nous recevons également des subventions de l’Agence de la santé publique du Canada et du ministère de l’Éducation du Québec.
La force de Fillactive repose sur toutes ces ressources exceptionnelles !
Vous avez aussi recruté des femmes d’influence pour porter votre message
Oui, parce que nous avons besoin de voix influentes, comme celle de Sophie Grégoire, pour parler de la problématique de l’inactivité physique chez les adolescentes. Et puis, les filles ont grand besoin de modèles inspirants.
Tessa Virtue et les sœurs Dufour-Lapointe remplissent ce rôle très important en s’adressant directement aux filles, de façon virtuelle au cours de la dernière année, mais habituellement en allant dans les écoles. Pour que les adolescentes embarquent dans l’activité physique, nous avons besoin de tous les atouts possibles et ces femmes pour qui le sport a été un puissant tremplin d’accomplissement et de confiance en soi, transmettent bien l’importance d’être physiquement actives.
L’activité physique n’est donc pas qu’une question de bien-être corporel ?
En effet, elle a de nombreux effets bénéfiques sur le bien-être psychologique des filles, notamment au chapitre de l’image corporelle. De plus, l’activité physique stimule les fonctions cérébrales indispensables à la réflexion, l’apprentissage, l’attention, la concentration, la gestion du stress, par exemple. Bouger pour le plaisir et avoir l’occasion de se dépasser dans des conditions favorables est également un excellent moyen de construire son estime de soi et sa confiance en soi et de développer des aptitudes en leadership.
Depuis 2018, nous formons des « étudiantes-leaders » qui appuient le déploiement des activités Fillactive dans leur école en contribuant à garder les participantes motivées et en donnant un coup de main dans l’animation et l’organisation des activités. Plus de 110 adolescentes ont levé la main cette année !
En 1998, Kino-Québec s’est penché pour la première fois sur la problématique de l’abandon de l’activité physique chez les adolescentes. Est-ce que les choses ont changé depuis ?
Le combat contre la sédentarité des filles est loin d’être gagné, d’autant plus que la pandémie a eu un double impact : plus d’inactivité physique et plus de temps-écran. C’est toute une côte à remonter !
Mais je vois du progrès. D’une part, il y a une réelle reconnaissance de l’importance de cet enjeu et les barrières qui découragent les filles sont bien identifiées. Nous échangeons beaucoup avec la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec (FÉÉPEQ), qui réfléchit à des ajustements permettant de mieux répondre aux besoins des filles.
Qu’espérez-vous du nouveau mouvement de mobilisation mené par le ministère de l’Éducation en partenariat avec Fillactive et Égale Action ?
Ce projet montre que l’enjeu des femmes et de l’activité physique progresse sur le plan politique, ce qui est très positif !
Je m’attends à un renforcement de la collaboration entre les différents acteurs. Je pense que nous avons besoin de plus de joueurs dans le milieu scolaire, des leaders des associations sportives et du milieu communautaire, comme le réseau des YMCA et des YWCA.
Je crois également qu’il est très important de laisser une porte ouverte pour échanger avec des organisations hors Québec, comme la Fondation Bon Départ, basée à Toronto, qui fait un travail extraordinaire pour favoriser l’activité physique chez les filles. Les grands clubs sportifs de Toronto financent conjointement le MLSE Launchpad, un centre communautaire où le sport est utilisé comme un levier pour le développement global des jeunes : c’est un véritable laboratoire, qui inclut un volet filles et activité physique, ainsi qu’un projet de recherche et évaluation.
Je rêve d’une communauté de pratique solide qui favorise les échanges d’expertise et la recherche. En fait, je crois que nous avons déjà tous les ingrédients en main pour que l’activité physique et le sport fassent partie du parcours normal des filles et des femmes. À nous de les combiner pour trouver la recette gagnante !
* COSMOSS Bas-Saint-Laurent : Communauté ouverte et solidaire pour un monde outillé, scolarisé et en santé.